De la forme, couleur & stature des Sauvages, & comme ils ne portent point de barbe. CHAPITRE XIV.

TOUTES les Nations & les peuples Americains que nous avons veus en nostre voyage, sont tous de couleur bazanee (excepté les dents qu'ils ont merveilleusement blanches) non qu'ils naissent tels, car ils sont de mesme nature que nous: mais c'est à cause de la nudité, de l'ardeur du soleil qui leur donne à nud sur le dos, & qu'ils s'engraissent & oignent assez souvent le corps d'huile ou graisse, avec des peintures de diverses couleurs qu'ils y appliquent & meslent, pour sembler plus beaux.

Ils sont tous generalement bien formez & proportionnez de leurs corps, & sans difformité aucune, & peux dire avec verité, y avoir veu d'aussi beaux enfans qu'il y en sçavoit avoir en France. Il n'y a pas mesme de ces gros ventrus, pleins d'humeurs & de graisses, que nous avons par-deçà; car ils ne sont ny trop gras, ny trop maigres, & c'est ce qui les maintient en santé, & exempts de beaucoup de maladies ausquelles nous sommes sujets: car au dire d'Aristote, il n'y a rien qui conserve mieux la santé de l'homme que la sobrieté, & entre tant de Nations & de monde que j'y ay rencontré, je n'y ay jamais veu ny apperceu qu'un borgne, qui estoit des Honqueronons, & un bon vieillard Huron, qui pour estre tombé du haut d'une Cabane en bas, s'estoit faict boiteux.

Il ne s'y voit non plus aucun rousseau, ny blond de cheveux, mais les ont tous noirs (excepté quelques-uns qui les ont chastaignez) qu'ils nourrissent & souffrent seulement à la teste, & non en aucune autre partie du corps, & en ostent mesme tous la cause productive, ayans la barbe tellement en horreur, que pensans parfois nous faire injurier, nous appellent Sascoinronte, qui est à dire barbus, tu es un barbu: aussi croyent-ils qu'elle rend les personnes plus laides, & amoindrit leur esprit. Et à ce propos je diray, qu'un jour un Sauvage voyant un François avec sa barbe, se retournant vers ses compagnons leur dict, comme par admiration & estonnement: O que voyla un homme laid! Est-il possible qu'aucune femme voulust regarder de bon oeil un tel homme, & luy-mesme estoit un des plus laids Sauvages de son pays; c'est pourquoy il avait fort bonne grace de mespriser ce barbu.

Que si ces peuples ne portent point de Barbe, il n'y a dequoy s'emerveiller, puis que les anciens Romains mesmes, estimans que cela leur servoit d'empeschement, n'en ont point porté jusques à l'Empereur Adrien, qui premier a commencé à porter barbe. Ce qu'ils reputoient tellement à honneur, qu'un homme accusé de quelque crime, n'avoit point ce privilege de faire raser son poil comme se peut recueillir par le tesmoignage d'Aulus Gellius, parlant de Scipion fils de Paul, & par les anciennes Medailles des Romains & Gaulois, que nous voyons encore à present.

Nos François avoient donné à entendre aux Sauvagesses, que les femmes de France avoient de la barbe au menton, & leur avoient encore persuadé tout plein d'autres choses, que par honnesteté je n'escris point icy, de sorte qu'elles estoient fort desireuses d'en voir; mais nos Hurons ayant veu Mademoiselle Champlain en Canada, ils furent détrompez, & recogneurent qu'en effet on leur en avoit donné à garder. De ces particularitez on peut inferer que nos Sauvages ne sont point velus, comme quelques-uns pourroient penser. Cela appartient aux habitans des Isles Gorgades, d'où le Capitaine Hanno Carthaginois, rapporta deux peaux de femmes toutes velues, lesquelles il mit aux Temple de Juno par grande singularité, & me semble encor' avoir ouy dire à vue personne digne de foy, d'en avoir veu une à Paris toute semblable, qu'on y avoit apportée par grande rareté: & de là vient la croyance que plusieurs ont, que tous les Sauvages sont velus, bien qu'il ne soit pas ainsi, & que tres-rarement tn trouve-on qui le soient.

Il arriva au Truchement des Epicerinys, qu'apres avoir passé deux ans parmy eux, & que pensans le congratuler, ils luy dirent: Et bien, maintenant que tu commences à bien parler nostre langue, si tu n'avois point de barbe tu aurois desja presque autant d'esprit qu'une telle Nation, luy en nommant une qu'ils estimoient avoir beaucoup moins d'esprit qu'eux, & les François avoit encor' moins d'esprit que cette Nation là, tellement que ces bonnes gens là nous estiment de fort petit esprit, en comparaison d'eux: aussi à tout bout de champ, & pour la moindre chose ils nous disent, Téondion, ou Yescaondion, c'est à dire, tu n'as point d'esprit, Atache, mal-basty. A nous autres Religieux ils nous en disoient autant au commencement, mais à la fin ils nous eurent en meilleur estime, & nous disoient au contraire: Carbia urinidion, vous avez grandement d'esprit: Ei nilandase daussan téhonaion, ou Ahondinoy issa, vous estes gens qui cognoissez les choses d'en-haut & surnaturelles, & n'avoient cette opinion ny croyance des autres François, en comparaison des quels ils estimoient leurs enfans plus sages & de meilleur esprit ils ont bonne opinion d'eux-mesmes, & peu d'estime d'autruy.

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