Humeur des Sauvages, & comme ils ont recours aux Devins, pour recouvrer les choses desrobees. CHAPITRE XV.

ENTRE toutes ces Nations il n'y en a aucune qui ne differe en quelque chose, soit pour la façon de se gouverner & entretenir, ou pour se vestir & accommoder de leurs parures, chacune Nation se croyant la plus sage & mieux advisée de toutes (car la voye du fol est tousjours droicte devant ses yeux) dict le Sage. Et pour dire ce qu'il me semble de quelques-uns; & lesquels sont les plus heureux ou miserables, je tiens les Hurons, & autres peuples Sedentaires, comme la Noblesse: les nations Algoumequines pour les Bourgeois, & les autres Sauvage de deçà comme Montagnais & Canadiens, les villageois & pauvres du pays: & de faict, ils sont les plus pauvres & necessiteux de tous car encore que tous les Sauvages soient miserables entant qu'ils sont privez de la cognoissance de Dieu, si ne sont-ils pas tousjours egallement miserables en la jouyssance des biens de cette vie, & en l'entretien & embellissement de ce corps miserable, pour lequel seul ils travaillent & se peinent, & nullement pour l'ame, ny pour le salut.

Tous les Sauvages en general, ont l'esprit & l'entendement assez bon, & ne sont point si grossiers & si lourdeauts que nous nous imaginons en France. Ils sont d'une humeur assez joyeuse et contentée, toutesfois sont un peu saturniens, ils parlent fort posément, comme se voulans bien faire entendre, & s'arrestent aussi-tost en songeans une grande espace de temps, puis reprennent leur parole, & cette modestie est cause qu'ils appellent nos François femmes, lors que trop precipitez & bouillans en leurs actions, ils parlent tous à la fois, & s'interrompent l'un l'autre. Ils craignent le des-honneur & le reproche & sont excitez à bien faire par l'honneur; d'autant qu'entr'eux celuy est tousjours honore, & s'aquiert du renom, qui a faict quelque bel exploict.

Pour la liberalité, nos Sauvages sont louables en l'exercice de cette vertu, selon leur pauvreté: car quand ils se visitent les uns les autres, ils se font des presents mutuels: & pour monstrer leur galantise, ils ne marchandent point volontiers, & se contentent de ce qu'on leur baille honnestement & raisonnablement, mesprisans & blasmans les façons de faire de nos Marchands qui barguignent une heure pour marchander une peau de Castor: ils ont aussi la mansuetude & clemence en la victoire envers les femmes & petits enfans de leurs ennemis, ausquels ils sauvent la vie, bien qu'ils demeurent leurs prisonniers pour servir.

Ce n'est pas à dire pourtant qu'ils n'ayent de l'imperfection: car tout homme y est sujet, & à plus forte raison celuy qui est privé de la cognoissance d'un Dieu & de la lumiere de la foy, comme sont nos Sauvages: car si on vient à parler de l'honnesteté & de la civilité, il n'y a de quoy les louer, puis qu'ils n'en pratiquent aucun traict, que ce que la simple Nature leur dicte & enseigne. Ils n'usent d'aucun compliment parmy-eux, & sont fort-mal propres & mal nets en l'apprest de leurs viandes. S'ils ont les mains sales ils les essuyent à leurs cheveux, ou aux poils de leurs chiens, & ne les lavent jamais, si elles ne sont extremement sales: & ce qui est encore plus impertinent, ils ne font aucune difficulté de pousser dehors les mauvais vents de l'estomach parmy les repas, & en presence de tous. Ils sont aussi grandement addonnez à la vengeance & au mensonge, ils promettent aussi assez; mais ils tiennent peu, car pour avoir quelque chose de vous, ils sçavent buen flatter & promettre, & desrobent encore mieux, si ce sont Hurons, ou autres peuples Sedentaires, envers les estrangers, c'est pourquoy il s'en faut donner de garde, & ne s'y fier qu'à bonnes enseigne, si on n'y veut estre trompé.

Mais si un Huron a esté luy-mesme desrobé, & desire recouvrer ce qu'il a perdu, il a recours à Loki ou Magicien, pour par le moyen de son sort avoir cognoissance de la chose perdue. On le faict donc venir à la Cabane, là où apres avoir ordonné des festins, il faict & pratique ses magies, pour descouvrir & sçavoir qui a esté le voleur & larron, ce qu'il faict indubitablement, à ce qu'ils disent, si celuy qui a faict le larcin est alors present dans la mesme Cabane, & non s'il est absent. C'est pourquoy le François que avoit pris des Rassades au bourg de Toenchain, s'enfuit en haste en nostre Cabane, quand il vit arriver Loki dans son logis, pour le sujet de son larcin, sans que nous ayans sceu, que quelques jours apres, qu'il s'estoit ainsi venu refugier chez-nous pour un si mauvais acte que celuy-là.

Pour ce qui est des Canadiens, & Montagnets, ils ne sont point larrons (au moins ne l'avons-nous pas encore apperceu en nostre endroict) & les filles y sont pudiques & sages, tant en leurs paroles qu'en leurs actions, bien qu'il s'y en pourroit peut-estre trouver entr'elles qui le seroient moins. Mais les Sauvages les plus honnestes & mieux appris que j'aye recogneu en une si grande estendue de pays, sont, à mon advis, ceux de la Baye & contree de Miskou, parlant en general; car en toute Nation il y en a de particuliers qui surpassent en bonté & honnesteté, & les autres qui excedent en malice. J'y vis le Sauvage du bon Pere Sebastien Recollet, Aquitanois, qui mourut de faim, avec plusieurs Sauvages, vers sainct Jean, & la Baye de Miskou, pendant un hyver que nous demeurions aux Hurons, environ quatre cens lieuës esloignez de luy: mais il ne sentoit nullement son Sauvage en ses moeurs & façons de faire; ais son homme sage, grave, doux & bien appris, n'approuvant nullement la legereté & inconstance qu'il voyoit en plusieurs de nos hommes, lesquels il reprenoit doucement en son silence & en sa retenue, aussi estoit-il un des principaux Capitaines & chef du pays.

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