Cette copie était une besogne fastidieuse, et je ne tardai pas à m’apercevoir qu’il n’y avait aucun péril en la demeure, et que mon travail n’était qu’un prétexte. Je ne l’eus pas plus tôt achevé que je montai à cheval ; j’utilisai tout ce qui me restait de jour, et quand je me vis à la fin perdu dans la nuit complète, demandai l’hospitalité dans une maison située au bord de l’Almond Water. Avant le jour, j’étais de nouveau en selle, et les boutiques d’Édimbourg s’ouvraient à peine quand j’arrivai au galop par West Brow et laissai mon cheval fumant à la porte du lord procureur. J’avais un mot d’écrit pour Doig, le factotum de mylord qui était censé le mettre dans tous ses secrets. C’était un digne petit homme d’apparence vulgaire, bouffi de graisse et plein de suffisance. Je le trouvai déjà devant son pupitre et dans la même antichambre où j’avais rencontré James More. Il lut le billet scrupuleusement d’un bout à l’autre comme un chapitre de la Bible.
– Humph ? dit-il, c’est que vous arrivez un peu trop tard, monsieur David. L’oiseau s’est envolé – nous l’avons laissé partir.
– Miss Drummond a été remise en liberté ? m’écriai-je.
– Que oui, fit-il, pourquoi donc voudriez-vous que nous la gardions, hein ? Cela n’aurait fait plaisir à personne de la voir passer en jugement.
– Et à présent, où est-elle ?
– Dieu le sait ! fit Doig, en haussant les épaules.
– Elle est retournée chez lady Allardyce, je suppose ?
– Cela se pourrait.
– En ce cas, j’y vais tout droit.
– Mais vous mangerez bien une bouchée avant de partir ?
– Ni bouchée ni cuillerée. J’ai pris une bonne jatte de lait à Ratho.
– Bien, bien. Mais vous pourrez laisser ici votre cheval et vos effets, car il est probable que nous vous reverrons.
– Non, non. Je ne veux aller aujourd’hui à pied pour rien au monde. Comme Doig patoisait de façon marquée, je m’étais laissé aller par contagion à prendre un accent beaucoup plus paysan qu’il ne m’était habituel – et j’en fus d’autant plus honteux quand une autre voix se mit à fredonner derrière mon dos ce couplet d’une ballade :
Va-t’en m’seller ma bonne jument noire,
Va m’seller la jument et apprêt’la-moi vite
Pour que j’descend’la rue Catchope
Et que j’aille voir la dame de mon cœur.
Je me retournai, mais la jeune personne gardait les mains cachées dans les manches de son peignoir du matin, comme pour me tenir à distance. Je n’en vis pas moins qu’il y avait de la sympathie dans le regard qu’elle m’adressait.
– Tous mes respects à miss Grant, dis-je en m’inclinant.
– Pareillement, monsieur David, répondit-elle avec une profonde révérence. Et je vous prie de vous rappeler que c’est comme pour les vieilles truies grasses : que la viande et la masse n’ont jamais fait de tort à personne. La masse, je ne puis vous l’offrir, car nous sommes bons protestants. Mais la viande, je la signale à votre attention. Et cela ne m’étonnerait pas si je trouvais à vous glisser dans l’oreille quelque chose qui vaudrait la peine de rester.
– Mademoiselle Grant, dis-je, je crois être déjà votre débiteur pour quelques mots joyeux – autant qu’aimables, je pense – écrits sur un bout de papier sans signature.
– Un bout de papier sans signature ? répéta-t-elle, en faisant une grimace drolatique, et d’ailleurs fort jolie, comme si elle cherchait à se rappeler.
– Ou je me trompe beaucoup, continuai-je. Mais en vérité, nous aurons tout le temps de reparler de cela, puisque votre père a la bonté de faire de moi votre hôte pour quelque temps ; et le nigaud ne vous demande pour cette fois que de lui octroyer sa liberté.
– Vous vous donnez des noms durs, fit-elle.
– M. Doig et moi nous sommes tout disposés à en emprunter de plus durs à votre plume experte, répliquai-je.
– Il me faut admirer une fois de plus la discrétion des hommes, répliqua-t-elle. Mais puisque vous ne voulez pas manger, allez-vous-en tout de suite ; vous n’en serez que plus vite revenu, car vous allez faire un voyage inutile. Allez-vous-en, monsieur David, reprit-elle, en ouvrant la porte :
Il a sauté sur un bon coursier gris,
Et le voilà galopant comme il faut :
Je suis bien sûr qu’il ne traînera pas,
Car il va voir sa bonne damoiselle.
Je ne me le fis pas dire deux fois, et justifiai la citation de miss Grant en me dirigeant vers Dean.
La vieille lady Allardyce se promenait seule dans son jardin, avec son chapeau et sa mantille, et munie pour s’appuyer d’un bâton de bois noir à monture d’argent. Quand je fus descendu de cheval, et que je m’approchai d’elle avec des révérences, je vis le rouge lui monter au visage, et elle releva la tête avec un air d’impératrice.
– Que venez-vous faire à ma pauvre porte ? s’écria-t-elle en parlant très fort du nez. Je ne puis vous en empêcher. Les mâles de ma race sont morts et enterrés ; je n’ai ni fils ni mari pour défendre ma porte ; n’importe quel mendiant peut venir me tirer la barbe – et j’en ai de la barbe, voilà le pire de tout ! ajouta-t-elle, comme à la cantonade.
Je fus extrêmement déconcerté par cet accueil, et sa dernière remarque, qui semblait d’une folle, me laissa presque incapable de parler.
– Je vois que j’ai encouru votre disgrâce, madame, fis-je. Malgré cela, j’aurai l’audace de vous demander à voir Mlle Drummond.
Elle me jeta un regard de courroux, ses lèvres se plissèrent de mille rides, sa main trembla sur son bâton. Elle s’écria :
– C’est à moi que vous venez demander de ses nouvelles ! Plût à Dieu que je pusse vous en donner !
– Elle n’est donc pas ici ?
Elle avança le menton et, poussant une exclamation, fit un pas vers moi. Je reculai incontinent.
– Hors d’ici, bouche menteuse ! s’écria-t-elle. Hé quoi ! vous venez me demander de ses nouvelles ! Elle est en prison, où vous l’avez fait mettre – voilà tout ce que je sais d’elle. Et de tous les gens que j’aie jamais vus en culotte, penser que ce doive être vous ! Effronté gredin ! s’il me restait un mâle de mon nom, je lui ferais si bien épousseter votre justaucorps que vous vous en égosilleriez.
Je ne crus pas nécessaire de m’attarder plus longtemps auprès d’elle, d’autant que son irritation ne faisait que croître. Même, comme je me dirigeais vers le montoir, elle me suivit, et je n’ai pas honte d’avouer que je m’éloignai au trot avec un seul étrier, et rattrapai l’autre en route.
Faute de savoir où m’adresser ailleurs pour continuer mes recherches, il ne me resta plus qu’à retourner chez le procureur. Je fus bien reçu par les quatre dames, qui étaient alors réunies, et je dus leur communiquer les nouvelles de Prestongrange et de ce qui se disait dans le pays de l’ouest, dans le détail le plus infini et à mon grand ennui. Cependant la jeune demoiselle, avec qui je désirais tellement de me retrouver seul, m’observait d’un air taquin et semblait prendre plaisir au spectacle de mon énervement. À la fin, après que j’eus subi un repas en leur compagnie, et alors que j’étais sur le point de solliciter un entretien en présence de sa tante, elle s’en alla au casier à musique et, s’accompagnant d’un air, se mit à chanter sur un ton élevé : « Qui ne veut pas quand il a peur, quand il voudra ne pourra plus. » Mais ce fut la fin de ses rigueurs, et aussitôt après m’avoir fait des excuses dont je ne me souciais guère, elle m’emmena avec elle dans la bibliothèque de son père. Je ne dois pas manquer d’ajouter qu’elle était parée comme une grâce, et belle comme le jour.
– Maintenant, monsieur David, asseyez-vous ici et taillons une bavette à nous deux, fit-elle. J’ai beaucoup à vous raconter, et il paraît en outre que je me suis montrée fortement injuste envers votre bon goût.
– En quelle manière, mademoiselle Grant ? demandai-je. Je suis persuadé de n’avoir jamais manqué de respect à personne.
– Je m’en porterais garante pour vous, monsieur David, répliqua-t-elle. Votre respect, tant envers vous-même qu’envers vos humbles voisins, a toujours été sans égal, et c’est fort heureux. Mais là n’est pas la question. Vous avez reçu un billet de moi ?
– Je me suis permis d’en faire la supposition, et ce fut là de votre part une attention délicate.
– Il doit vous avoir prodigieusement étonné. Mais commençons par le commencement. Vous vous rappelez peut-être qu’un jour vous avez eu la complaisance d’accompagner trois fort ennuyeuses demoiselles à Hope Park ? J’ai d’autant moins de raisons de l’oublier que vous avez eu alors l’attention particulière de me faire connaître les principes de la grammaire latine, chose qui s’est gravée profondément dans ma reconnaissance.
– Je crains d’avoir été tristement pédant, fis-je, accablé de confusion à ce ressouvenir. Mais vous devez considérer que je n’ai aucun usage de la société féminine.
– Ne parlons donc plus de la grammaire latine, reprit-elle. Mais d’où vient que vous avez abandonné celles qui vous étaient confiées ? « Il l’a rejetée, il l’a reniée, sa seule, sa chère Annie ! » fredonna-t-elle ; et sa seule chère Annie ainsi que ses deux sœurs ont dû rentrer chez elles toutes seules à la queue leu leu, tels des canards verts ! Il paraît que vous êtes retourné trouver mon papa, chez qui vous vous êtes montré excessivement martial, et que vous avez passé de là dans le royaume de l’inconnu, lequel avait, paraît-il, quelque rapport avec le Rocher du Bass ; les oies sauvages sont peut-être plus de votre goût que les jolies filles.
Durant toute cette raillerie le regard de la demoiselle me faisait supposer que j’allais entendre du meilleur.
– Vous prenez plaisir à me tourmenter, fis-je, et je suis un jouet bien inoffensif ; mais permettez-moi d’implorer votre pitié. Pour le moment, je ne souhaite qu’une chose, c’est d’apprendre des nouvelles de Catriona.
– L’appelez-vous de ce nom en sa présence, monsieur David Balfour ? me demanda-t-elle.
– À vrai dire je n’en suis pas trop sûr, bégayai-je.
– En tout cas, cela ne me paraît pas convenable vis-à-vis d’étrangers, reprit miss Grant. Et pourquoi vous intéressez-vous tellement aux affaires de cette jeune personne ?
– J’ai su qu’elle était en prison.
– Eh bien ! apprenez maintenant qu’elle en est sortie. Que vous faut-il de plus ? Elle n’a désormais plus besoin de champion.
– C’est peut-être moi qui ai besoin d’elle, mademoiselle.
– Allons, cela vaut mieux. Mais regardez-moi bien en face : ne suis-je pas plus jolie qu’elle ?
– Je serais le dernier à le nier. Il n’y a pas votre égale dans toute l’Écosse.
– Eh bien ! vous avez choisi entre nous deux, et vous n’avez plus besoin de parler de l’autre. Ce n’est pas du tout le moyen de plaire aux dames, monsieur Balfour.
– Mais, Mademoiselle, repris-je, il n’y a pas que la beauté qui compte.
– Dois-je entendre par là que je ne vaux pas grand-chose ?
– Vous devez entendre par là, s’il vous plaît, que je ressemble au coq sur le fumier de la fable, dis-je. Je vois la belle perle – et j’aime bien de la voir – mais le grain de mil fait mieux mon affaire.
– Bravissimo ! s’écria-t-elle. Voilà enfin une parole bien dite, et pour vous en récompenser je vais vous raconter une histoire. Le soir même de votre désertion, je rentrai tard d’une maison amie – où je fus très admirée, quoi que vous en pensiez – et qu’est-ce que j’apprends ? qu’une jeune fille voilée d’un tartan désire me parler ! Elle était là depuis au moins une heure, me dit la servante, et elle pleurait toute seule en m’attendant. J’allai la trouver de ce pas ; elle se leva pour me recevoir et je la reconnus aussitôt. « Les Yeux Gris », me dis-je en moi-même, mais en me gardant bien de lui montrer ma surprise. « Vous voilà enfin, miss Grant ! » fit-elle, en se levant et me jetant un regard attentif et désolé. « Oui, il m’a dit vrai, vous êtes jolie à tout le moins. » – « Je suis comme Dieu m’a faite, ma chère, répliquai-je, mais je vous serais bien obligée si vous pouviez me dire ce qui vous amène chez moi si tard dans la soirée. » – « Madame, me dit-elle, nous sommes parentes, nous sommes toutes les deux sorties du sang des fils d’Alpin. » – « Ma chère, je me soucie des fils d’Alpin autant que d’un trognon de chou. Les larmes de votre visage sont un meilleur argument. » Et là-dessus j’eus la faiblesse de l’embrasser, chose que vous aimeriez tellement de faire, mais je gage que vous n’en auriez pas l’audace. Je dis que ce fut de ma part une faiblesse, car je ne connaissais d’elle que son extérieur, mais c’était là ce que je pouvais faire de plus sage. Elle est très ferme et très brave de caractère, mais je la crois peu habituée aux caresses ; et par ce baiser (qui l’effleura d’ailleurs à peine) je gagnai son cœur. Je ne livrerai pas les secrets de mon sexe, monsieur David ; je ne vous dirai pas de quelle façon elle m’enjôla, parce que c’est le même procédé qu’elle emploiera avec vous. Ah ! oui, c’est une bonne fille ! Elle est limpide comme de l’eau de roche.
– Comme vous la jugez bien, m’écriai-je.
– Eh bien donc, elle me conta ses ennuis, continua miss Grant, elle me dit son inquiétude au sujet de son papa, sa colère si peu justifiée contre vous et sa perplexité après votre départ. « C’est alors que je m’avisai en fin de compte, dit-elle, que nous étions parentes et que M. David vous avait appelé la plus jolie des jolies. Je me dis en moi-même : « Si elle est si jolie, elle ne peut manquer aussi d’être bonne ! Et là-dessus j’ai mis mes souliers. » À ce moment-là, je vous ai pardonné, monsieur David. Lorsque vous étiez dans ma société, vous sembliez sur des charbons ardents ; à en juger par les apparences, si jamais j’ai vu un homme qui ne demandait qu’à s’en aller, c’était bien vous ; et c’était de mes deux sœurs et de moi que vous étiez si désireux de vous éloigner ; mais alors je me rappelai que vous aviez fait quelque attention à moi en partant, et que vous aviez eu l’obligeance de parler de mes charmes ! C’est de cette heure-là que date notre amitié et que la grammaire latine m’est apparue sympathique.
– Il vous restera toujours bien assez de temps pour me railler, répliquai-je ; et je crois en outre que vous ne vous rendez pas justice. Ce fut Catriona qui amollit tellement votre cœur à mon égard. Elle est trop naïve pour discerner comme vous la roideur de son ami.
– Je n’en jurerais pas, monsieur David. Les filles sont clairvoyantes. Mais, quoi qu’il en soit, elle est tout à fait votre amie, comme je l’ai pu voir. Je l’ai emmenée auprès de sa seigneurie mon papa ; et Sa procurerie, étant au degré voulu de son bordeaux, fut assez bonne pour nous recevoir toutes les deux. – « Voici les Yeux-Gris dont on vous a tant rebattu les oreilles ces jours passés, lui dis-je. Elle est venue vous prouver que nous disions vrai, et je dépose à vos pieds la plus jolie fille des trois Lothians. » Mais je faisais à part moi une restriction jésuitique. Elle joignit le geste à mes paroles : elle se mit à genoux devant lui – je ne voudrais pas jurer qu’il n’en vit pas deux, ce qui rendait la prière plus irrésistible, car vous êtes tous un tas de pachas – elle lui raconta ce qui s’était passé ce soir-là, et comment elle avait empêché le domestique de son père de vous suivre, et quelle émotion fut la vôtre ; et elle lui demanda avec larmes de lui accorder votre vie à tous deux (dont aucune ne courait le moindre danger) si bien que je vous assure que j’étais fière de mon sexe, tant c’était fait avec grâce, et honteuse pour ce sexe, à cause de la mesquinerie de l’occasion. Elle n’en avait pas dit long, je vous l’assure, que le procureur avait repris tout son sang-froid, en voyant ses desseins les plus cachés percés à jour par une jeune fille et découverts à la plus insubordonnée de ses filles. Mais en nous y mettant à nous deux, nous réussîmes à l’apaiser. Quand on sait le prendre – c’est-à-dire quand il est pris par moi – il n’y a personne qui vaille mon papa.
– Il s’est montré bon pour moi, fis-je.
– Mais il s’est montré bon aussi pour Katrine, et j’étais là pour la voir, répliqua-t-elle.
– Et elle a plaidé pour moi ?
– Elle a plaidé, et de façon très émouvante. Je ne voudrais pas vous répéter ce qu’elle a dit – je vous trouve déjà assez vain.
– Que Dieu l’en récompense ! m’écriai-je.
– Et M. Balfour aussi, j’imagine ? fit-elle.
– Vous êtes trop injuste envers moi, à la fin ! exclamai-je. Je frémirais de la savoir en des mains aussi maladroites. Croyez-vous que je prendrais avantage de ce qu’elle a demandé ma grâce ? Elle en ferait autant pour un chien nouveau-né. Je puis m’enorgueillir de mieux que cela, si vous voulez le savoir. Elle m’a baisé cette main que voici. En vérité, elle l’a fait. Et pourquoi ? Parce qu’elle croyait que je jouais un beau rôle et qu’elle assisterait peut-être à ma mort. Ce n’était pas à cause de moi… Mais je n’ai pas besoin d’aller vous raconter cela, à vous, qui ne pouvez me regarder sans rire. C’était à cause de la bravoure qu’elle m’attribuait. Il n’y a, je crois, en dehors de moi que ce pauvre prince Charles à qui on ait fait cet honneur. N’y avait-il pas de quoi me rendre fou d’orgueil ? et ne croyez-vous pas que mon cœur se brise quand j’y repense.
– Je ris beaucoup de vous, et beaucoup plus que l’exigerait la civilité, reprit-elle ; mais je vous dirai une chose : à savoir que si vous lui parlez de la sorte vous aurez quelques lueurs d’espoir.
– Moi ? m’écriai-je ; mais je n’oserais jamais. Je peux vous le dire à vous, miss Grant, parce que ce que vous pensez de moi m’est tout à fait égal. Mais elle ? pas de danger !
– Il me semble que vous avez les plus grands pieds de toute l’Écosse.
– C’est exact, ils ne sont pas petits, fis-je, en les regardant.
– Ah ! pauvre Catriona, s’exclama miss Grant.
Mais je me bornai à la considérer ; car bien que je comprenne aujourd’hui ce qu’elle voulait dire (et peut-être non sans raison), je n’ai jamais été prompt à la réplique dans ce genre de propos folâtres.
– Ma foi, tant pis, monsieur David, fit-elle, quoi qu’en dise ma conscience, je vois qu’il me faudra être votre porte-parole. Elle saura qu’à la nouvelle de son emprisonnement vous avez couru tout droit vers elle ; elle saura que vous avez refusé de prendre le temps de manger ; et de notre conversation elle en saura autant que je crois convenable pour une fille de son âge et de son inexpérience. Croyez-moi, vous serez de cette façon beaucoup mieux servi que par vous-même, car je ne mettrai pas les grands pieds dans le plat.
– Vous savez donc où elle est ?
– Je le sais, monsieur David, mais je ne vous le dirai pas.
– Et pourquoi cela ?
– Eh bien, reprit-elle, je suis votre bonne amie, comme vous l’apprendrez bientôt ; mais je suis encore plus amie de mon papa. Je vous assure que vous ne m’en ferez jamais démordre, et vous pouvez cesser de me faire vos yeux de mouton : et adieu pour cette fois à votre David Balfourerie.
– Mais il y a encore une chose, m’écriai-je. Il y a encore une chose qu’il faut empêcher, car elle causerait sa perte à elle, et à moi aussi.
– Allons, fit-elle, soyez bref, je vous ai déjà consacré la moitié de ma journée.
– Lady Allardyce croit… commençai-je ; elle suppose… elle pense que je l’ai séduite.
Le rouge monta au visage de miss Grant, si bien que je restai tout d’abord interdit de lui trouver l’oreille si sensible ; mais je ne tardai pas à m’apercevoir qu’elle luttait plutôt contre une envie de rire, ce en quoi je fus entièrement confirmé par le tremblement de sa voix quand elle me répliqua :
– Je prendrai la défense de votre réputation. Vous pouvez vous en remettre à moi.
Et là-dessus elle quitta la bibliothèque.