Le lendemain, dissimulé dans le cabinet particulier des juges, j’entendis rendre le verdict et condamner James. Les paroles du Duc me sont restées mot pour mot ; et puisque ce fameux discours est devenu un objet de controverse, je crois bien faire de rapporter ici ma version. Après avoir rappelé l’an 45, le chef des Campbell, siégeant comme avocat général, s’adressa en ces termes à l’infortuné Stewart : « Si vous aviez eu le dessus dans cette rébellion, c’est vous qui auriez fait la loi en ce lieu même où vous êtes présentement jugé ; à nous qui sommes aujourd’hui vos juges, on nous eût fait notre procès devant une de vos parodies de tribunaux ; et en ce cas vous auriez pu vous rassasier du sang de tout homme ou de tout clan que vous avez en aversion.
– Voilà qui s’appelle vider le fond du sac, pensai-je. Et c’était bien là l’impression générale.
Ce discours eut un succès prodigieux chez les jeunes avocats : ils le tournèrent en dérision, et il ne se passait guère un repas sans que l’un d’eux reprît la phrase : « Et en ce cas vous auriez pu vous rassasier. » On en fit des chansons qui amusèrent alors, et qui sont presque toutes oubliées. Je me rappelle ces premiers vers de l’une d’elles :
De qui vous faut-il le sang, t-il le sang ?
Est-ce d’un homme ou d’un clan ?
Ou du sauvage Highland
Qu’il vous faut le sang, le sang ?
Une autre était sur mon air favori, La Maison d’Airlie, et commençait ainsi :
Un jour qu’Argyll siégeait au tribunal,
On lui servit un Stewart à dîner.
Et l’un des couplets disait :
Alors le Duc se dresse, et crie au cuisinier :
Je considère ainsi qu’un très sensible outrage
Qu’on me fasse souper et me remplir la panse
Avec le sang d’un clan que j’ai en aversion.
James fut assassiné ni plus ni moins que si le Duc avait pris un fusil pour le cribler de plomb. J’étais renseigné là-dessus, mais d’autres l’étaient moins, et furent d’autant plus affectés par les scandaleux agissements qui se produisirent au cours des débats. L’un des principaux fut à coup sûr cette sortie du juge. Elle fut suivie de près par une autre d’un juré, qui lança au beau milieu de la plaidoirie de Colstoun pour la défense : « Je vous en prie, monsieur, abrégez, nous en avons plein le dos. » – ce qui parut le comble de l’impudence et de la naïveté. Mais plusieurs de mes nouveaux amis légistes furent encore plus choqués par une innovation qui avait déshonoré et même vicié les débats. Un certain témoin ne fut même pas appelé. Son nom, pourtant, était imprimé à la quatrième page de la liste, où l’on peut encore le voir : « James Drummond, alias MacGregor, alias James More, précédemment tenancier à Inveronachile » ; et sa déposition avait été reçue, selon la coutume, par écrit. Il s’était rappelé ou avait inventé (Dieu lui pardonne) de quoi mettre du plomb aux semelles de James Stewart, et donner en même temps des ailes aux siennes propres. On avait toute raison de vouloir porter ce témoignage à la connaissance d’un jury, sans exposer son auteur aux dangers d’un contre-examen ; et la manière dont on le présenta fut une surprise pour tous. Car le papier circula de main en main, comme une curiosité, parmi les juges ; il traversa le box du jury, où il fit son effet ; et il s’évanouit derechef (comme par hasard) avant d’être arrivé au conseil du prisonnier. On jugea le procédé extrêmement déloyal ; et quant à moi j’étais rempli de honte pour Catriona et d’inquiétude pour moi-même, à y voir mêlé le nom de James More.
Le jour suivant, je me mis en route avec Prestongrange, en nombreuse compagnie, pour Glasgow. Là, je m’impatientai de devoir rester quelque temps dans un mélange de plaisirs et d’affaires. Je logeais chez mylord, qui m’encourageait à la familiarité ; j’avais ma place aux fêtes ; j’étais présenté aux hôtes de marque ; et en somme je faisais figure plus qu’il ne convenait tant à mon rôle qu’à mon rang ; si bien que, en présence d’étrangers, il m’arrivait de rougir pour Prestongrange. Il faut avouer que l’aperçu que j’avais pris du monde dans ces derniers mois était bien fait pour assombrir mon humeur. J’avais vu beaucoup d’hommes, dont quelques-uns dignitaires en Israël tant par la naissance que par les talents ; mais personne parmi eux n’avait les mains nettes. Quant aux Brown et Miller, dont j’avais vu l’égoïste avidité, je ne pouvais plus les prendre au sérieux. Prestongrange était encore le meilleur ; il m’avait sauvé, ou plutôt épargné, alors que d’autres étaient résolus à m’assassiner tout net ; mais le sang de James criait contre lui ; et sa présente dissimulation à mon égard m’apparaissait indigne de pardon. Qu’il dût affecter de prendre plaisir à ma compagnie me mettait presque hors de moi. Je le considérais le cœur plein d’une rage sourde, et je songeais : « Ah ! tu as beau me dire : ami, ami ! si tu étais seulement franc au sujet de ce mémoire, ne me jetterais-tu pas dehors à coups de pied ? » En quoi je lui faisais – comme la suite l’a démontré – la plus grave injure ; et je pense qu’il était à la fois beaucoup plus sincère, et beaucoup plus habile comédien que je ne l’imaginais.
Mais j’étais confirmé dans mon incrédulité par la conduite de cette cour de jeunes avocats qui l’entouraient dans l’espoir d’obtenir son patronage. La soudaine faveur dont jouissait un garçon jusqu’alors inconnu les perturba tout d’abord considérablement ; mais deux jours ne s’étaient pas écoulés que je me trouvai moi-même environné de flatteries et d’adulations. J’étais le même jeune homme, et ni meilleur ni plus méritant, qu’ils avaient rejeté un mois plus tôt ; et à cette heure il n’y avait pas de civilité trop bonne pour moi. Le même, dis-je ? Non, pas tout à fait, à preuve le surnom que l’on m’appliquait derrière mon dos. Me voyant si lié avec le procureur, et se persuadant que je devais voler haut et loin, ils avaient emprunté un terme du jeu de golf, et m’appelaient « la balle en place ». Je m’entendais dire que j’étais à présent « l’un d’eux » ; j’allais tâter de leurs draps fins ; moi qui étais déjà familiarisé avec la rudesse de la paille la plus grossière ; et l’un de ceux à qui j’avais été présenté, dans Hope Park, eut l’audace de me rappeler cette rencontre. Je lui répondis que je n’avais pas le plaisir de me la rappeler.
– Comment, fit-il, mais c’est miss Grant elle-même qui m’a présenté à vous ! Je m’appelle Untel.
– Cela se peut très bien, monsieur, répliquai-je ; mais je n’en ai pas gardé le souvenir.
Il n’insista plus ; et au milieu du dégoût qui me submergeait d’ordinaire, j’éprouvai un instant de plaisir.
Mais je ne veux pas m’étendre sur cette période. Lorsque j’étais dans la compagnie de ces jeunes politiques, j’étais partagé entre la honte que j’éprouvais pour mes façons communes, et le mépris qu’ils m’inspiraient avec leur duplicité. Des deux maux, j’estimais Prestongrange le moindre ; et tandis que je restais roide et guindé avec ces jeunes fous, je savais assez dissimuler mes sentiments d’hostilité envers le procureur, pour être (comme le disait jadis M. Campbell) « souple avec le laird ». Celui-ci même s’aperçut de la différence, et me conseilla d’être plus de mon âge, et de me faire des amis de mes jeunes compagnons.
Je lui répondis que j’étais lent à me faire des amis.
– Soit, je retire le mot, dit-il. Mais il existe un : Bonjour et bonsoir, monsieur David. C’est avec ces mêmes jeunes gens que vous êtes destiné à passer vos jours et à traverser la vie : votre éloignement a un air de hauteur ; et si vous ne réussissez pas à affecter des manières un peu plus dégagées, je crains que vous ne rencontriez des difficultés sur votre chemin.
– Il n’est pas toujours commode de faire une bourse de soie avec une oreille de truie, répliquai-je.
Le 1er octobre au matin, je fus réveillé par les claquements de fers d’un courrier. Avant que le messager n’eût mis pied à terre, j’étais à ma fenêtre, et je vis qu’il avait mené son cheval grand train. Quelques minutes plus tard, je fus mandé chez Prestongrange, que je trouvai en robe de chambre et bonnet de nuit, attablé devant ses lettres éparses.
– Monsieur David, me dit-il, j’ai des nouvelles pour vous. Elles concernent certains de vos amis, dont je vous crois parfois un peu honteux, car vous n’avez jamais fait allusion à leur existence.
Je me sentis rougir.
– Je vois que vous m’entendez, et ce symptôme équivaut à une réponse. Je dois certes vous féliciter sur votre excellent goût en matière de beauté ; mais savez-vous bien, monsieur David, que cette jeune fille me paraît fort entreprenante ? Elle se multiplie. Le gouvernement d’Écosse trouve un obstacle dans miss Katrine Drummond, à peu près comme il lui est arrivé il n’y a pas bien longtemps avec un certain M. David Balfour. Ces deux-là ne feraient-ils pas un bon couple ? Sa première intervention dans la politique… Mais je ne dois pas vous raconter cela, car les autorités ont décrété que vous l’apprendriez d’une autre bouche plus jeune. Ce nouvel échantillon, toutefois, est plus sérieux ; et j’ai le regret de devoir vous annoncer qu’elle est en prison.
Je poussai un cri.
– Oui, reprit-il, la petite dame est en prison. Mais je ne voudrais pas vous mettre au désespoir. À moins que (aidé de vos amis et de leurs mémoires) vous n’arriviez à me renverser, elle n’a rien à craindre.
– Mais qu’a-t-elle fait ? De quoi l’accuse-t-on ? m’écriai-je.
– Cela pourrait presque s’appeler haute trahison, répliqua-t-il. Elle a forcé les portes du château royal d’Édimbourg.
– Je suis fort ami de cette demoiselle. Je sais que vous ne railleriez pas si la chose était sérieuse.
– Et c’est pourtant sérieux en un sens ; car ce bandit de Catrine – que nous pourrions aussi bien appeler Cateran – a lâché de nouveau sur le monde ce peu recommandable individu, son papa.
Je voyais se justifier une de mes prévisions : James More était de nouveau en liberté. Il avait prêté ses hommes pour me tenir prisonnier ; il avait offert son témoignage dans le procès d’Appin, et son témoignage derechef avait servi (peu importe par quel subterfuge) à influencer le jury. À cette heure il avait reçu sa récompense, et il était libre. Les autorités avaient beau faire croire à une évasion ; je ne m’y laissais pas prendre : – je savais que c’était là l’accomplissement d’un marché. Par le fait même, je n’avais plus à m’inquiéter le moins du monde pour Catriona. Elle pouvait passer pour avoir fait sortir son père de prison ; elle pouvait le croire elle-même. Mais dans toute l’affaire je reconnaissais la main de Prestongrange ; et j’étais sûr que, loin de permettre qu’elle fût punie, il ne lui laisserait même pas faire son procès. En conséquence je lâchai cette exclamation bien peu politique :
– Ah ! je m’y attendais !
– Vous avez pourtant quelquefois beaucoup de discernement ! répliqua Prestongrange.
– Qu’est-ce donc que mylord veut entendre par là ? demandai-je.
– Je m’étonnais simplement, reprit-il, qu’étant assez fin pour tirer ces conclusions, vous ne sachiez pas aussi les garder pour vous. Mais vous aimeriez, je crois, connaître le détail de l’affaire. J’en ai reçu deux versions : la moins officielle des deux est la plus complète et de beaucoup la plus intéressante, car elle est due à l’alerte plume de ma fille aînée. Voici ce qu’elle m’écrit : « Il n’est bruit dans toute la ville que d’un joli méfait, et ce qui rendrait la chose encore plus remarquable (si on le savait) c’est que le malfaiteur est une protégée de sa seigneurie mon papa. Vous avez sans doute trop à cœur votre devoir (sans parler du reste) pour avoir oublié les Yeux-Gris. Voilà-t-il pas qu’elle s’affuble d’un chapeau à larges bords, d’un grand surtout d’homme, et d’une épaisse cravate ; elle retrousse ses jupes jusque Dieu sait où, s’applique deux paires de guêtres sur les jambes, prend à la main une paire de souliers rapiécés, et en route pour le château ! Là, elle se fait passer pour un savetier aux gages de James More, et pénètre dans le cachot de celui-ci, tandis que le lieutenant (qui aimait à rire) plaisante avec ses soldats sur le surtout du savetier. Puis on entend une dispute et un bruit de coups à l’extérieur. Sort le savetier, l’habit au vent, les bords du chapeau rabattus sur le nez, et il s’enfuit poursuivi par les brocards du lieutenant et de ses hommes. Ceux-ci ne riaient plus d’aussi bon cœur lorsqu’ils eurent ensuite l’occasion de visiter le cachot, car ils n’y trouvèrent plus qu’une grande et jolie fille aux yeux gris, en habit féminin ! Quant au savetier, il était « au diable vauvert par-delà les montagnes », et il est probable que la malheureuse Écosse devra faire son deuil de son absence. Ce soir-là, j’ai bu en public à la santé de Catriona. En somme, toute la ville l’admire, et je crois que les élégants porteraient à leur boutonnière des morceaux de ses jarretières, s’ils réussissaient à s’en procurer. Je serais même allée volontiers la voir dans sa prison, mais je me suis rappelé à temps que je suis la fille à mon papa ; je lui ai donc, en place, écrit un billet que j’ai confié au fidèle Doig, et vous reconnaîtrez j’espère que je sais être politique quand je veux. Le même fidèle nigaud va vous dépêcher cette lettre par le courrier en compagnie de celles des soi-disant sages, de sorte que vous entendrez Tom le fou en même temps que Salomon. À propos de nigauds, dites-le à David Balfour. Je voudrais voir la tête qu’il fera en se figurant une fille aux longues jambes dans une telle situation ! sans parler des folâtreries de votre affectionnée fille, et sa respectueuse amie. » Sur quoi ma gredine a signé, continua Prestongrange. Et vous voyez, monsieur David, que ce que je vous dis est entièrement exact : mes filles vous considèrent avec le plus affectueux enjouement.
– Le nigaud leur est bien obligé, ripostai-je.
– Mais n’est-ce pas un joli tour ? reprit-il. Cette vierge du Highland n’est-elle pas une sorte d’héroïne ?
– J’ai toujours bien pensé qu’elle avait un grand cœur. Et je gage qu’elle ne sait rien… Mais je vous demande pardon, je touche à des sujets prohibés.
– Je vous garantis qu’elle ne savait rien, reprit-il très ouvertement. Je vous garantis qu’elle croyait braver le roi George en face.
Le souvenir de Catriona et l’idée qu’elle était en prison m’émurent étrangement. Je voyais que Prestongrange l’admirait, et qu’il ne pouvait s’empêcher de sourire en songeant à ce qu’elle avait fait. Quant à miss Grant, sa mauvaise habitude de taquiner n’empêchait pas son admiration d’éclater. Je fus pris d’un élan soudain.
– Je ne suis pas la fille de votre seigneurie… commençai-je.
– Que je sache ! fit-il en souriant.
– Je m’exprime comme un sot, repris-je ; ou plutôt j’ai mal débuté. Il ne serait sans doute pas convenable pour miss Grant d’aller la voir en prison ; mais pour ma part je m’estimerais un peu courageux ami si je ne volais à l’instant auprès d’elle.
– Ah bah ! monsieur David ; je croyais que vous et moi avions fait un marché.
– Mylord, quand j’ai fait ce marché j’étais fort touché de votre bonté, mais je ne puis nier que j’étais mû également par mon propre intérêt. Il y avait de l’égoïsme dans mon cœur, et j’en ai honte à présent. Il se peut que votre seigneurie ait besoin pour sa sécurité de dire que ce fâcheux David Balfour est votre ami et votre hôte. Dites-le donc ; je n’y contredirai pas. Mais quant à votre patronage, je vous le rends tout entier. Je ne vous demande qu’une chose – laissez-moi libre, et donnez-moi un mot pour la voir dans sa prison.
Il me regarda d’un œil sévère.
– Vous mettez, je crois, la charrue avant les bœufs, dit-il. C’était une part dans mon amitié que je vous accordais, mais votre ingrate nature ne semble pas s’en être aperçue. Et quant à mon patronage, il n’est pas donné encore, ni même, à vrai dire, offert. Il se tut un instant, puis ajouta : je vous en préviens, vous ne vous connaissez pas vous-même. La jeunesse est une saison hâtive : vous considérez tout cela autrement d’ici un an.
– Eh bien ! je préfère être de cette jeunesse-là ! m’écriai-je. J’en ai trop vu de l’autre sorte chez ces jeunes avocats qui flagornent votre seigneurie et se mettent même en peine de me faire la cour. Et j’ai vu cela aussi chez les vieux. Ils sont intéressés, tous jusqu’au dernier ! Voilà pourquoi j’ai l’air de ne pas me fier à l’amitié de votre seigneurie. Pourquoi donc auriez-vous de l’amitié pour moi ? Mais vous-même m’avez avoué que vous y aviez intérêt !
Je m’interrompis, confus d’avoir été aussi loin. Il me surveillait d’un visage impénétrable.
– Mylord, je vous demande pardon, repris-je. Je n’ai à ma disposition qu’une langue brutale et rustique. Je crois qu’il serait simplement convenable que je vois mon amie dans sa prison ; mais je n’oublierai jamais que je vous dois la vie ; et si c’est pour le bien de votre seigneurie, je resterai ici. Par pure reconnaissance.
– Vous auriez pu dire cela en moins de mots, fit Prestongrange avec amertume. Il est facile, et il est parfois agréable, de dire en bon écossais : Oui.
– Ah mais, mylord, je crois que vous ne me comprenez pas encore tout à fait ! m’écriai-je. Pour vous-même, à cause de mon salut, et à cause de la bonté que vous dites me porter – je consens : pour cela, mais non pour me procurer un bien quelconque. Si je me tiens à l’écart de cette jeune fille durant son épreuve, je n’en retirerai aucun avantage ; je peux y perdre, mais non y gagner. J’aime mieux faire tout de suite naufrage que de bâtir sur ces fondations.
Il resta pensif un instant, puis sourit.
– Vous me rappelez l’homme au long nez, dit-il : si vous regardiez la lune au télescope, c’est David Balfour que vous verriez là-haut. Mais il en sera fait à votre volonté. Je vous demanderai encore un service, et puis vous serez libre. Mes secrétaires sont surchargés de besogne : ayez la bonté de me recopier ces quelques pages – dit-il, en parcourant avec affection plusieurs gros rouleaux manuscrits – et quand ce sera terminé, je prierai Dieu qu’il vous accompagne ! Je n’irai jamais prendre à ma charge la conscience de M. David ; mais si vous en aviez laissé une partie (comme par hasard) dans le fossé, vous verriez qu’on n’en fait que mieux son chemin.
– Peut-être, mylord, mais pas tout à fait dans la même direction, ripostai-je.
– Allons, il sera dit que vous aurez le dernier mot ! s’écria-t-il gaiement.
Il avait d’ailleurs tout sujet d’être gai, car il avait enfin obtenu ce qu’il désirait, pour atténuer la portée du mémoire, ou pour avoir une réponse toute prête, il tenait à me voir en public faire figure de l’un de ses intimes. Mais si j’allais me montrer aussi publiquement comme visiteur de Catriona dans sa prison, le monde ne manquerait pas d’en tirer des conclusions, et la vraie nature de l’évasion de James More ne ferait plus de doute pour personne. Tel était le petit problème que je lui avais posé à l’improviste, et auquel il avait si vivement trouvé une solution. J’allais être retenu à Glasgow par cette besogne de copie, que je ne pouvais en toute honnêteté refuser ; et pendant ces heures où je resterais occupé, on se débarrasserait de Catriona. J’ai honte d’écrire cela en parlant d’un homme qui m’accablait de ses bontés, mais je l’ai toujours estimé faux comme une cloche fêlée.