Chapitre premier Du notaire et de l’avoué ou traité du danger que l’argent court dans les études

Il y a certaines classes de la société que le hasard a dévolues aux rieurs : on y a rangé les médecins, les notaires, les procureurs, les huissiers, les Normands, les Gascons, etc. Ces classes ne s’en offensent jamais, et ne répliquent pas ; car on ne peut guère parler quand on a la bouche pleine. Les Gascons, qui passent pour les moins riches, sont néanmoins les seuls qui, depuis cent ans, aient eu part au gouvernement de la France. Et sans aller chercher les d’Épernon, les Lauzun de l’ancien temps, qu’il vous souvienne qu’en celui-ci, la convention, l’empire et la royauté n’ont vu que des Gascons au timon des affaires, témoin, en dernier lieu : MM. Laîné, Ravez, Decazes, Villèle, Martignac. De tous les rois de Bonaparte, enfin, un seul est resté ! Aussi Bernadotte est-il gascon.

Tout ce préambule n’est que ce que nous appelons une précaution oratoire, afin de détourner de nous le soupçon de vouloir attaquer l’honneur et la probité de MM, les notaires, avoués, huissiers, etc. Nous savons parfaitement bien que si l’on a admis en principe de rendre justice à chacun, cette justice, qui n’y voit goutte, a besoin d’officiers, mais, comme il n’y a pas de bien ici-bas qui n’ait pour frère un abus, après avoir posé comme axiome qu’un notaire, un avoué, un huissier sont parmi les inventions sociales, judiciaires, ministérielles, politiques, l’invention la plus légitime, la plus bienfaisante, qu’il nous soit permis d’examiner les dangers attachés à ces bienfaits. La cassave donne le pain aux Nègres ; et si l’on n’ôte pas tout son lait le manioc devient un poison.

La bonne foi est arrivée à un tel point de perfection, que même un contrat bien en forme et bien expliqué ne signifie quelquefois rien ; et l’on voudrait se passer de notaires, qui sont des espèces de compagnies d’assurance contre les incertitudes de la conscience ; d’avoués, qui, en justice, font l’office des anciens parrains dans les jugements de par Dieu ! Ceux-ci, en effet, armaient les combattants, arrangeaient les cuirasses, voyaient si les épées étaient bien affilées, et criaient au peuple, chacun de son côté, que le combattant avait raison. Que diable ! soyons justes et reconnaissons dans ces deux sortes d’officiers une institution monarchique, une antiquité féodale.

Reconnaissons ensuite des changements notables, des améliorations sensibles dans le personnel de ces deux états, et rendons grâce à cette perfectibilité indéfinie vers laquelle nous tendons sans cesse.

Autrefois, qu’est-ce que c’était qu’un procureur et qu’un conseiller notaire ? Deux êtres les plus maussades du monde et les plus désagréables à voir : le procureur était un homme toujours habillé de noir, coiffé d’une ample perruque classique, ne parlant que des affaires d’autrui, et en termes barbares qui blessaient l’oreille ; toujours enfouis sous un bâtiment de paperasses en décombres, les procureurs fouillaient les titres, se couvraient d’une poussière ridicule, prenaient à cœur l’intérêt d’un client jusqu’à se faire échiner pour lui ; ils n’allaient jamais dans le monde, ne se voyaient qu’entre eux ; enfin un procureur prodigue passait pour un monstre, et celui qui aurait été assez hardi pour aller au Châtelet en voiture, eût été taxé de folie. Au bout de quelque cinquante ans, passés dans la gêne et la pratique, ils se retiraient à quelque campagne, où ils n’avaient plus d’autre joie que de voir passer de grandes bandes de corbeaux qui leur rappelaient l’honorable corps des procureurs aux grands jours d’assemblée. On avait fini par les respecter comme des fous peu dangereux.

Tout au contraire, un avoué d’aujourd’hui est un jeune homme aimable, gai, spirituel, mis comme le veut l’arrêt suprême rendu chez Tortoni ; il court les bals, les fêtes, les concerts ; sa femme, par sa toilette, écrase les dames de la cour ; notre avoué dédaigne tout ce qui n’est pas élégant, son cabinet est un boudoir, sa bibliothèque est dans sa tête ; il plaisante des choses les plus graves, et notre heureuse France a cela de beau, qu’on y prend tout en riant : « nous allons l’exproprier, nous allons le poursuivre », tout cela est dit avec le sérieux de Polichinelle. Les avoués courent en cabriolet, jouent à l’écarté, les clercs font des vaudevilles, et tout, disent-ils, n’en va pas plus mal.

Les notaires avaient longtemps résisté à la perfectibilité ; les idées de ce corps luttaient avec courage contre les idées nouvelles ; mais enfin il commence à se mettre au niveau du siècle, et rien de plus ordinaire que de voir dans un salon danser un notaire, un médecin, un avoué, un huissier et un juge. Si Dieu voulait qu’il y eût aussi un ministre, on pourrait mourir en plein bal, sûr d’avoir les quatre facultés à ses côtés, et de pouvoir faire son testament dans les formes.

Il y a encore des niais qui s’imaginent bonnement qu’un avoué, un notaire sont des gens tenus de s’occuper, les uns d’aller au Palais défendre, assister leurs clients, et de trouver dans les codes des armes solides ; les autres de rédiger et de bien comprendre les intentions des contractants ; tout cela était bon dans le siècle passé, où tout prenait une forme idéale, où chaque état était représenté par une somme d’obligations à remplir ; aujourd’hui on a tout monétisé : ainsi l’on ne dit pas, monsieur Un Tel a été nommé procureur général, il va soutenir les intérêts de sa province comme Lachalotais. Non, erreur ; monsieur Un Tel vient d’avoir une belle place, procureur général, cela vaut vingt mille francs de traitement : il a dépensé cent mille francs pour être nommé : ainsi son argent est placé à vingt pour cent.

De même on ne se fait plus avoué ou notaire dans le but primitif de sa profession ; on entrevoit bien qu’on ira au Palais par-ci, par-là, ou qu’on fera des actes et des inventaires ; mais la première pensée est celle-ci : « En achetant une charge… deux cent mille francs, prenant qu’elle rapporte vingt mille francs, l’argent est placé à dix. Ainsi on place mieux en notaire qu’en terres, en avoué qu’en maisons. Il faut convenir que l’on a créé en France de nouvelles richesses à la place d’idées creuses. Tout s’est ainsi réduit à une seule expression, et dans tout on voit une forme plus ou moins productive ; mais où sont les revenus ? sur quelles terres sont-ils assis ? Ah ! voilà le chapitre des dangers.

Une fois que l’on dit à un homme : « Voilà du galon d’argent pour broder votre habit, n’en mettez que sur les parements ou au collet, prenez la bobine, le bobinet est à discrétion », les passions, les envies de femmes grosses, tout arrive en foule, et alors on met du galon sur toutes les coutures ; puis un beau matin la bobine est sèche comme un clou.

C’est votre bourse qui est la bobine ! Le législateur a dit aux notaires et aux avoués : « Vous prendrez du galon. » Le proverbe est venu ; et depuis ce temps nos rois, à compter de Charles IX, et dès l’ordonnance de Moulins, ont toujours combattu vainement ce proverbe.

Ce que les rois de France et les tarifs n’ont pas pu faire, nous l’essaierons, et nous allons tâcher de dévoiler les ruses de certains officiers ministériels. Hélas ! ils lèvent leurs contributions si légalement, et avec une telle adresse, qu’il a fallu bien des années pour faire ce traité. Heureusement nous aurions pu lui donner pour épigraphe :

Nourri dans le sérail, j’en connais les détours.

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