Deuxième acte.

Après un premier hivernage, Mawson, accompagné du géologue suisse Mertz et du lieutenant anglais Ninnis, avec des traîneaux attelés de quarante-huit chiens groenlandais, quitta, le 15 novembre 1912, la station de la baie de Commonwealth pour explorer la terre vers le sud-est. Il n’était pas possible de pousser cette reconnaissance sur la glace de mer, continuellement disloquée par les tempêtes et rejetée vers le nord. Sur la terre, en plus du vent contre lequel il fallut lutter sans cesse, on ne pouvait avancer qu’en franchissant des montagnes à pic et des glaciers pleins de crevasses.

Après un mois d’efforts surhumains, Mawson et ses deux compagnons avaient réussi à parcourir une terre désolée qu’ils appelèrent la terre George-V. Le 14 décembre, à 300 kilomètres de leur station de départ, ils devaient atteindre l’extrême pointe de leur raid en avant.

Ce 14 décembre fut un jour néfaste. Le lieutenant Ninnis, qui conduisait le principal attelage de chiens, tomba avec son traîneau dans une crevasse sans fond. Mawson et Mertz, penchés sur le bord du gouffre, entendirent pendant quelques secondes les hurlements d’un chien blessé à mort. Puis plus rien. La tragédie n’avait pas duré une minute. Guide, bêtes et traîneau avaient été engloutis en un clin d’œil.

La chute de Ninnis a malheureusement fait disparaître les meilleurs chiens, presque tous les vivres et tous les vêtements de rechange. Il reste à Mawson et à Metz le petit traîneau, dix chiens éreintés et pour dix jours de vivres. Alors, ils reprennent tous les deux le chemin du retour, tâchent de doubler les étapes, tout en se rationnant le plus qu’ils peuvent. Mais la nature polaire s’acharne sur les malheureux explorateurs. La neige qui tombe avec persistance, le grand froid, le blizzard les obligent à ralentir la marche.

Mertz, un athlète, un sportif, est le premier à s’affaiblir. Comment combattre cet épuisement avec les rations de famine auxquelles ils sont réduits ? Déjà ils ont mangé les chiens l’un après l’autre. Le 7 janvier 1913, Mertz meurt d’épuisement.

Mawson reste seul. Il n’a presque plus de vivres. Il n’en peut plus. Il lui faut pour se sauver franchir des glaciers épouvantables, escalader des crêtes vertigineuses que le chasse-neige aiguise à vif ou ébouriffe, et s’il pense à la fin atroce de ses chers camarades, il a envie de se coucher là, de ne plus avancer, d’attendre son tour.

À bout de forces, déguenillé, mourant de faim, grelottant de froid, il se débat seul dans l’immensité du désert antarctique. Il marche. Attelé à son traîneau individuel, il ne sait plus comment il a pu passer les crevasses, se souvient de chutes où seuls les harnais le retenaient dans le vide. Il a une chance inespérée : il trouve un dépôt de vivres. Il s’y arrête un jour entier, reprend des forces, répare un crampon et peut, le 8 février, atteindre la maison de la baie de Commonwealth.

Les quelques matelots qui se portèrent ce jour-là à sa rencontre ont raconté qu’ils eurent toutes les peines du monde à reconnaître leur chef dans cette ombre qui s’avançait en trébuchant et dont le corps ne formait plus qu’une plaie.

*

Mais à Commonwealth il ne restait que six hommes.

Comme il avait été convenu, Davis était revenu en janvier 1913 chercher les membres de l’expédition. Il avait attendu Mawson. Les jours passaient et Mawson ne revenait pas. Le 8 février, Davis estima qu’il ne pouvait attendre plus longtemps. Six volontaires s’étaient offerts pour rester… et l’Aurora avait levé l’ancre.

La fatalité voulut que Mawson arrivât à Commonwealth quelques heures à peine après le départ du bateau. Immédiatement il fit signaler par télégraphie sans fil son retour à Davis et lui demanda de revenir. Mais dans l’Antarctique les coups de théâtre se multiplient : une tempête formidable se déchaîna et, malgré tous ses efforts, Davis ne réussit pas à se rapprocher de la terre. Après plusieurs jours de lutte, il dut se résoudre à laisser Mawson passer un deuxième hiver à la terre Adélie.

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