CHAPITRE PREMIER : LES ORIGINES. — LE MOYEN ÂGE. — LA PÉRIODE CLASSIQUE.

Avant d’étudier les écrivains contemporains qui nous révéleront la physionomie actuelle du génie russe, il est indispensable d’accorder un instant d’attention à leurs prédécesseurs. Un coup d’œil sur la longue enfance de cette littérature nous aidera peut-être à comprendre la direction qu’elle a prise de nos jours. Dans notre enquête sommaire sur le passé, nous chercherons surtout la préparation du présent. Je voudrais montrer comment tout a contrarié cette pauvre pensée et retardé sa maturité.

On peut diviser la littérature russe en quatre âges bien distincts. Le premier ne finit qu’au règne de Pierre le Grand ; c’est le moyen âge de ce pays, époque d’essais barbares et de poésie populaire, durant laquelle le fonds des traditions nationales s’est accumulé. La seconde période embrasse le dernier siècle, depuis le Réformateur jusqu’à Alexandre Ier ; c’est la plus stérile, malgré son faux air de progrès sur la précédente ; elle est caractérisée par l’imitation servile de l’Occident. La troisième, remplie par le romantisme, nous offre dans un court espace de temps une brillante éclosion de poésie ; l’histoire générale des lettres tiendra compte de cette délicieuse floraison ; mais ce sont encore des fleurs de serre, le produit d’une culture importée du dehors ; elles renseignent imparfaitement sur les propriétés natives de la terre russe. Depuis quarante ans, une quatrième époque a commencé ; la Russie a donné enfin quelque chose d’original et de spontané ; avec le roman réaliste, le génie national a pris conscience de lui-même ; il se rattache dans le passé à ses racines populaires, il balbutie son programme d’avenir.

Regardons ce génie sortir des ténèbres et monter du fond de l’histoire, toujours comprimé par la cruauté de cette histoire, déconcerté par ses brusques volte-face. Et d’abord, rappelons-nous les origines intellectuelles et les pérégrinations morales de cette race ; nous compatirons mieux ensuite à tout ce qu’il y a dans sa littérature de triste, de confus et d’irrésolu.

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