Pensées diverses 1

Montesquieu

Mon fils, vous êtes assez heureux pour n’avoir ni à rougir ni à vous enorgueillir de votre naissance : la mienne est tellement proportionnée à ma fortune que je serais fâché que l’une ou l’autre fussent plus grandes.

Vous serez homme de robe ou d’épée. Comme vous devez rendre compte de votre état, c’est à vous de le choisir : dans la robe, vous trouverez plus d’indépendance ; dans le parti de l’épée, de plus grandes espérances.

Il vous est permis de souhaiter de monter à des postes plus éminents, parce qu’il est permis à chaque citoyen de souhaiter d’être en état de rendre de plus grands services à sa patrie ; d’ailleurs une noble ambition est un sentiment utile à la société lorsqu’il se dirige bien. Comme le monde physique ne subsiste que parce que chaque partie de la matière tend à s’éloigner du centre, aussi le monde politique se soutient-il par le désir intérieur et inquiet que chacun a de sortir du lieu où il est placé. C’est en vain qu’une morale austère veut effacer les traits que le plus grand des ouvriers a gravés dans nos âmes : c’est à la morale qui veut travailler sur le cœur de l’homme à régler ses sentiments, et non pas à les détruire. Nos auteurs moraux sont presque tous outrés : ils parlent à l’entendement, et non pas à cette âme.

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