1843.

À Auguste Vacquerie.

13 mai [1843].

Merci, cher poëte. Votre bonne et charmante lettre m’a vivement ému. Croyez que je suis bien à vous. Je reverrai Mlle George. Il faut qu’elle joue ce magnifique rôle. Elle m’a paru le comprendre l’autre jour. Toute votre œuvre est pleine de choses profondes et vraies qui ont saisi cette femme, et qui, je l’espère, saisiront le public. Mêlons toujours l’humanité à notre poésie. C’est le grand secret. Vous l’avez.

Je vous remercie de m’avoir le premier rassuré sur toute ma chère colonie embarquée l’autre jour. J’avais le cœur bien gros. Je cache, mais j’éprouve. Personne ne le sait, que Dieu et moi.

Voici les vers que j’ai promis à madame Lefèvre pour son pauvre petit. Mettez-les à ses pieds. Mais mettez sur la tombe les vers si pathétiques et si déchirants que vous avez faits. Ceux-ci ne sont rien près des vôtres.

À bientôt. Je vous écrirai ce que m’aura dit Mlle George. J’aspire à voir Lucrèce Borgia se transfigurer en Proserpine.

En attendant je vous serre les mains.

Victor.

13 mai. Paris.

À Madame Léopoldine Vacquerie-Hugo,
au Havre.

Si tu recevais, chère enfant, toutes les lettres que je t’envoie, le facteur t’éveillerait au milieu de tes douces joies à chaque instant du jour et de la nuit. Depuis un mois, au milieu de ce tourbillon, entouré de haines qui se raniment, accablé de répétitions, de procès, d’ennuis, d’avocats et de comédiens, fatigué, obsédé, les yeux malades, l’esprit harcelé de toutes parts, je puis dire, mon enfant bien-aimée, que je n’ai pas été un quart d’heure sans penser à toi, sans t’envoyer intérieurement une foule de bons petits messages. Je te sais heureuse, j’en jouis de loin et avec une triste douceur, et ton beau ciel bleu me console de ma nuée. J’ai le cœur gros, mais j’ai aussi le cœur plein ; je sais que ton mari est bon, doux et charmant ; je le remercie du fond de l’âme de ton bonheur ; soyez tous les deux sages et absorbés l’un dans l’autre, la joie de la vie est dans l’unité, gardez l’unité, mes enfants ; il n’y a que cela de sérieux, de vrai, de bon et de réel. Moi, je vous aime et je pense à toi, ma fille bien-aimée. Quand tu recevras les Burgraves, tu liras, pages 96 et 97, des vers que je ne pouvais plus entendre aux répétitions dans les jours qui ont suivi ton départ. Je m’en allais pleurer dans un coin comme une bête et comme un père que je suis. Je t’aime bien, va, ma pauvre petite Didine.

Ta mère me lit tes lettres. Fais-les bien longues. Nous vivons de ta vie là-bas. Moi, c’est à peine si je puis écrire. Je t’embrasse bien tendrement, et j’embrasse ton mari, et je mets mes plus tendres hommages aux pieds de l’excellente madame Lefèvre.

Ton père,

V.

16 mars [1843].

À Charles Vacquerie.

Voici, mon bon Charles, une lettre que j’écris à votre digne mère. Veuillez, je vous prie, la lui remettre. Je reçois la vôtre en ce moment, et je vous en remercie. Au milieu des douleurs qui vous accablent, je suis heureux que ma fille vous rende heureux. C’est une douce et charmante enfant ; elle est digne de vous ; vous êtes digne d’elle. Aimez-vous toujours. La vie entière est dans ce mot.

A vous du fond du cœur.

V. H.

23 mars [1843].

À Léopoldine.

Paris, 21 avril [1843].

Ne dis jamais, même en plaisantant, ma fille bien-aimée, que je t’oublie. Si je t’écris peu, c’est peut-être pour trop penser à toi.

J’ai souvent avec toi à ton insu de longs et doux entretiens ; je t’envoie d’ici, la nuit, dans le silence, des bénédictions qui te parviennent, j’en suis bien sûr, et qui te font mieux dormir, et qui te font mieux aimer. Je te l’ai déjà dit, tu reçois de ces lettres-là à chaque instant.

Quant aux autres lettres, à celles qu’on écrit sur du papier et que la poste porte, elles sont si froides en comparaison, elles sont si incomplètes, si obscurcies par les ombres de toute sorte que répand la vie ! Vraiment, ma fille bien-aimée, je ne t’écris pas parce que je pense trop à toi. Arrange cela comme tu voudras, mais c’est ainsi. Surtout ne dis pas, ne dis jamais que ton père t’oublie.

Ta mère me lit toutes tes bonnes petites lettres. Celles-là, les tiennes, sont rayonnantes et douces. Elles nous apportent un reflet de ton bonheur. Chère enfant, sois heureuse, rends ton mari heureux ; travaillez tous les deux sans relâche et avec amour à votre bonheur commun.

Dans peu de temps, le mois prochain, ta mère, Dédé et Toto iront vous rejoindre là-bas. Moi, je resterai seul à Paris où bien des travaux, bien des affaires, bien des ennuis me retiennent encore. Songez donc tous un peu à moi, ainsi qu’à ce pauvre et bon Charles, exilé comme moi.

Je penserai à vous de mon côté pour vous souhaiter tout le bonheur et toute la joie.

Offre mes hommages à mesdames Vacquerie et Lefèvre. Embrasse tendrement ton mari pour moi, et puis aime toujours ton père qui t’aime tant.

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